Emmanuelle, 41 ans - FRANCE

Je suis née il y a 41 ans dans la banlieue parisienne, en Seine-et-Marne. Ce département qui fait dire aux Provinciaux : « Ah ! t’es de Paris ! » et aux Parisiens : « Ah ! T’es de province ! ». En définitive, peu importent mes racines géographiques… J’ai aimé mon enfance et mon adolescence choyées par une famille formidable, c’est l’essentiel. Cette sécurité m’a donné les armes pour affronter le reste du monde et très tôt, j’ai su que je voulais voyager, rencontrer des gens, écrire des histoires ; leurs histoires. J’en ai fait mon métier. Une chance ! Mes rêves de petite fille se sont réalisés, et ils correspondaient (à peu de choses près !) à la réalité. Je suis allée chercher mon futur mari et père de mes enfants dans un autre pays, et nous avons vécu à plusieurs endroits en Europe, et aux États-Unis. 


Quelle est la phase de transition la plus marquante de votre vie? 

2013. J’avais 31 ans. J’étais journaliste, et je voyageais beaucoup. Un an plus tôt, je venais d’épouser l’homme de ma vie, qui mène une carrière internationale dévorante.

Lorsque son patron lui demande de déménager en Angleterre, c’est le coup de massue. Bien sûr, ce n’est pas loin. Bien sûr, tous les chemins mènent à Londres ! Mais… tous ne mènent pas à Beaconsfield, au fin fond de la campagne britannique où nous sommes tenus de nous installer. La petite citadine hyper active que je suis s’apprête à se transformer en fée du logis en plein milieu des champs ! Cerise sur le gâteau : j’attends notre premier enfant, mais il ne faut pas le crier trop fort, car l’entreprise de mon mari n’apprécie pas qu’il ne soit pas exclusivement concentré sur son travail ! Quant au mien… Voyons… N’est-ce pas anecdotique ? Et puis… Soyons réaliste ! Comment vais-je continuer à exercer à plusieurs heures de train ou d’avion de mon bureau ? Est-ce si important que ça, d’aimer ce que je fais et de devoir y renoncer ? Je suis bien difficile !

… Me voilà donc à me « dépatouiller », seule, dans cet environnement que je n’ai pas choisi… tiraillée entre le bouleversement maternel que je m’apprête à découvrir, et l’acceptation forcée du trait tiré sur ma place dans la société. Sur les bras rassurants de ma famille, également ; mes amis, mon indépendance, et mon cocon tissé toutes les années passées. 

Comment avez-vous géré / vécu cette transition?

J’ai choisi de voir le verre à moitié plein. À ma santé ! Que pouvais-je faire d’autre ? J’allais avoir d’autres responsabilités avec mon enfant, et j’ignorais encore quelle mère j’allais incarner. Peut-être était-ce donc l’occasion de prendre le temps pour lui, pour moi ? Ce temps que je n’avais jamais eu, parce que je courrais sans cesse par monts et par vaux…

Hélas, impossible de renier qui j’étais. Certes, je ne pouvais plus mener « la vie d’avant », mais je refusais d’abdiquer. J’ai demandé un congé parental tout en conservant un minimum d’activité professionnelle. Mon bébé a voyagé avec moi dès ses premières semaines sur terre ! Porte-bébé collé sur ma poitrine, j’arpentais les aéroports d’Heathrow et Roissy pour faire les allers-retours. À 4 mois, mon fils était inscrit dans deux crèches, de part et d’autre de La Manche, selon l’endroit où je me trouvais ! Je me suis infligé un rythme pire que celui que je subissais lorsque je travaillais à temps plein.

 

Qu’avez-vous gagné aujourd’hui et que vous auriez utilisé si vous aviez l’occasion de revenir en arrière?

Une identité personnelle. Je ne veux plus m’effacer, sous prétexte que ça arrange tout le monde. Pendant longtemps, j’ai vécu avec des étiquettes collées au front. J’étais « la maman de », « l’épouse de », « la journaliste de ». Je ne savais plus qui j’étais en tant que femme, tout simplement, et je crains d’être un exemple bien trop classique ! Le monde contemporain inflige à la gent féminine de mener plusieurs vies tambour battant, et j’admire celles qui n’hésitent pas trancher au nom de leur égo. Sans vouloir être misogyne, les hommes se posent moins de questions que nous ! 

Quelles étaient les émotions ressenties à cette période ? Quelle a été l’émotion la plus envahissante?

 Une immense fatigue ! J’apprenais à être mère, j’apprenais à aimer un être que je ne connaissais pas encore très bien, et je devais me frayer un chemin dans la société pour y trouver une nouvelle place. J’avais l’impression de tout faire de travers ! Je culpabilisais d’être une mauvaise maman, parce que dès que je partais travailler, j’abandonnais mon bébé. J’étais aussi une mauvaise journaliste, puisque je rechignais à allonger mes heures et mes déplacements pour couvrir correctement les événements que l’on me confiait. 


« Une amie m’a dit : « fous-toi la paix, de temps en temps ! » Cette phrase a pris beaucoup de sens dans ma vie. La perfection n’existe pas, et c’est tant mieux. »

Comment cette expérience vous a fait grandir ? Quelles leçons avez-vous tirées ?

Une leçon que j’essaie d’inculquer à mes enfants, même si je n’arrive pas toujours à l’appliquer… Le bonheur n’est pas la destination, mais le chemin. C’est beau, d’avoir des ambitions, des projets. Je fourmille chaque jour d’idées, et mes petits n’en manquent pas non plus. Devenir pompier, médecin, vétérinaire. Espérer faire le tour du monde. Acheter la maison de ses rêves, dans un an, dix ans, vingt ans… Mais c’est aujourd’hui, que nous vivons. Être heureux passe par le fameux « Carpe Diem ».

Bien sûr, imaginer que le meilleur est à venir suffit à m’arracher un sourire. Mais… je m’évertue à penser qu’il faut apprécier à sa juste valeur la chance que nous avons déjà. On ne la voit pas toujours, elle est souvent ternie, noyée dans le quotidien, abîmée par la fatigue, le stress, les aléas. Alors, il faut apprendre à relativiser. Est-ce que c’est si grave ? « Ma voiture est en panne… Je ne serai pas à l’heure à l’école… Mon fils a planté son contrôle de maths… Mon coiffeur a raté ma coupe de cheveux… » Soit. Est-ce que ça déterminera le reste de mon existence ? Ça l’entrave aujourd’hui, indubitablement, mais ça ne remet pas en cause qui je suis, et les valeurs que je veux transmettre à mes petits.

Quand vous vous remémorez ce moment de transition, comment l’utiliserez-vous dans les changements à venir ?

Ayant longtemps évoluée dans un milieu masculin, à l’époque, il m’a semblé qu’il fallait que je fasse deux fois plus mes preuves, et cette pression qui m’incombait (et que je m’imposais) était terriblement lourde. Je ne pouvais pas me contenter de la médiocrité qui me guettait, à force de courir partout et dans tous les sens. J’étais très, trop exigeante avec moi-même. Je le suis toujours, bien sûr, mais j’ai appris à lâcher du lest, et surtout, à hiérarchiser mes priorités. D’accord, mon mari a emmené notre bébé à la crèche habillé en pyjama. Ok, il a du dentifrice autour de la bouche. Et alors ? Est-ce que c’est si grave ?

Des phases de transition, après celle-là, il y en a eu d’autres. D’autres déménagements, d’autres pays, d’autres enfants. J’ai serré les rangs avec mon époux, et nous avons affronté les tempêtes ensemble. Je sais que je peux compter sur lui. Je ne suis pas seule et je me sens forte de notre union. Elle nous transcende, nous tire vers le haut. D’une manière plus large, je crois que l’être humain a besoin de compassion pour accepter la résilience. Même si ça ne m’empêche pas, parfois, de me réjouir d’une soirée toute seule avec un bol de céréales devant la TV ! 

 
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